Page 4 - LE TRANSFERT : VECU, PROJECTIONS & SUGGESTIONS
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Temoignages des soignants
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. On s’appelle une à trois années avant le transfert éventuel. En pratique, la dificulté est pour tous : le jeune,
la famille, les médecins et toute l’équipe. On a une certaine appréhension car le jeune qui arrive est très habitué à
son service pédiatrie. Par exemple, à Necker, il y l’espace d’activités Plein Ciel ; ils arrivent à Beaujon et il n’y en a
pas. Tout le monde est en blouse, se vouvoie. Cela peut être très brutal. Ils peuvent être très perdus lors de
la première hospitalisation en adultes. Ce sont aussi les moments de colère qui ressortent. Il faut beaucoup de
temps avant qu’il y ait de la coniance avec la nouvelle équipe.
L’arrivée chez les adultes est aussi une étape positive. C’est un moment pour s’ouvrir aux autres. Il faut s’ouvrir
à d’autres patients qui ont d’autres maladies, d’autres handicaps. Il y a de l’entraide. Cette transition, c’est une
porte que l’on ouvre vers la vie. Le plus souvent, cette transition est également synonyme d’autonomisation
et d’une nouvelle liberté. Nous parlons d’éducation thérapeutique, d’une autonomie complète vis-à-vis de soins,
possible pour le jeune adulte qui pourra ainsi réaliser les branchements, débranchements seul s’il le souhaite.
Parfois, je suis étonnée de voir qu’un jeune totalement autonome continue à faire faire une partie des soins
techniques par l’un des parents. Il s’agit probablement de cette transition nécessaire de l’adolescence où l’on
aspire à être libre tout en restant «chouchouté» par ses parents. Il faut probablement respecter ce temps de
transition mais cette autonomie est un véritable pas vers l’avenir en tant qu’adulte. Comment envisager de partir
de la maison, fonder une famille, trouver un job, faire des études ou un stage ou simplement sortir en boîte avec
des amis, si le papa ou la maman sont là à chaque instant pour préparer, encadrer voire faire le soin. Cette période
peut être dificile pour les parents qui, en perdant ce rôle de «soignant» de leur enfant, peuvent se sentir un peu
dépossédés de leur rôle, mais n’est ce pas le passage obligé de tout parent qui voit son enfant grandir ?
Chez les adultes, c’est vrai, on a moins de moyens, moins de ressources. La masse des patients est plus impor-
tante qu’en pédiatrie. Mais nous ne somme pas des «sauvages». Nous respectons les procotoles débutés en
pédiatrie, et nous essayons réellement de préparer en amont l’arrivée d’un nouveau patient. Lors de cer-
taines consultations, j’ai le conjoint, les parents ou quelqu’un de coniance. C’est important de les
recevoir ; mais je demande toujours un temps de consultation seule avec le patient. On doit aborder de nombreux
sujets plus ou moins délicats, qu’il n’est pas possible de discuter en présence d’un parent : sexualité, contraception,
addictions. mais il y a aussi des sujets liés à la transition administrative. L’adulte qui cherche un appartement, un
job, ce n’est pas forcément évident. On ne sait pas toujours comment les aider, on se retourne vers des assis-
tantes sociales. On doit aussi être vigilant, il peut y avoir des sentiments d’abandon en cas de soucis aigus, il faut
vraiment les éviter. Autre point de prudence : lorsque le jeune fait partie d’une fratrie. La transition et l’arrivée à
l’âge adulte peuvent bouleverser les familles - éclatement, séparation.- Il faut pouvoir en parler.
Je constate aussi des refus d’autonomisation. Parfois, le parent d’un adulte de 25 ans reste dans la chambre
lors des soins en disant ’’Je suis là au cas où, je ne fais rien...’’ C’est sans doute juste pour se rassurer, mais il faut
envisager le jeune demain seul chez lui. Un des gros problèmes lors de la transition : comment mettre en lien tous
les acteurs et médecins ? Cela signiie mettre en place un réseau car il n’y a pas de consultation multidiscipli-
naire. Cependant, il peut y avoir des collaborations entre équipes : par exemple, un chirurgien qui vient en service
adulte car il connaît le jeune parfaitement, l’a déjà opéré plusieurs fois.
Des consultations communes peuvent être une piste de rélexion systématique car lorsque le jeune nous voit
ensemble, on parle d’une même voix même si on ne fait pas tout de la même façon .
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Francisca Joly,
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professeur de nutrition, gastro-entérologue au CHU Beaujon de Clichy,
responsable du Centre Agréé de Nutrition Parentérale à Domicile.